« Je m'appelle Anna Livia » est le récit âpre, tendu entre noir et lumière telle une tragédie grecque, de l'irracontable, l'inceste. Deux voix - celle d'une femme depuis longtemps partie du domaine, la mère d'Elisabeta, qui questionne ; celle du serviteur Josefino qui revit la découverte, un matin, du corps suicidé de son maître -, et un silence hanté : « Ainsi c'était déjà là. C'était là avant que de se faire. Comme dérivant à la surface d'un rêve obscur. Avant même qu'elle ait pu penser. Un jour peut-être. » Sa mère l'appelle, par-delà la violence de sa propre histoire : celle d'une fille de la basse ville « achetée » par un riche propriétaire, et, sans un mot, arrachée à son enfance. Alors s'écrit ce qui n'a pu être dit ni pensé : « Son père, il est tout ce qu'elle sait et tout ce qu'elle possède, dans l'insondable nostalgie jamais apaisée du temps d'avant, de ce temps mystérieux, enfoui au plus profond, où elle vivait en quelqu'un d'autre, le temps de l'unité maintenant perdue. »
(Je m'appelle Anna Livia, Grasset, 1979, Gallimard, 1991)
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Elle entend son pas dans l'entrée, le bruit de la porte. Puis son pas dans l'escalier. Plus rien. Voilà. L'homme avec qui elle vivait depuis des années, de qui elle guettait le pas, chaque soir, au terme d'une longue attente, cet homme vient de la quitter. Rupture sans cris, sans larmes, sans griefs précis. Non sans amour cependant. Alors pourquoi ? La réponse est à entendre dans un dialogue silencieux, d'une tension bouleversante. L'intensité expressive, liée à l'économie des moyens, appartient en propre à Marie Susini. Cette fois, le dépouillement est poussé à l'extrême au bénéfice de l'acuité psychologique.
Toute l'oeuvre de Marie Susini - à commencer par la Fiera dont Albert Béguin n'hésitait pas à dire qu'il le tenait pour un chef-d'oeuvre - est animée par l'exigence de l'absolu. Partout retentit, comme venue du fond de l'enfance, la pathétique revendication d'un amour jamais suffisamment accepté, aimé. Les années ont passé et aujourd'hui l'intensité de la quête fait place à la sérénité d'une tendresse désolée. Au hasard d'une rencontre avec l'homme qu'elle a aimé, qu'elle ne cesse d'aimer, Fabia - dans le Paris de mai 1968 en écho au Paris de la Libération - revit sa propre histoire : la jeunesse en Algérie, les années de Sorbonne sous l'Occupation, la pureté des premiers attachements, la blessure d'une unique passion pour celui qui est là... Ce n'est pas le temps perdu qui est retrouvé, c'est plutôt, dans un présent qui le répète, le passé qui revit et meurt une seconde fois.
Là où vivait la maison se dresse maintenant un hôtel. Un homme grimpe le sentier. C'est avec lui qu'enfant, elle a vécu cet instant où tout s'est à la fois accompli et brisé. Assis en face d'elle sur la terrasse écrasée de soleil, il se tait. Elle reste seule. Et les morts sont de nouveau là, intensément présents. Et ceux qui ont peuplé un passé récent sont là aussi, affirmés avec la même force passionnée mais comme rejetés hors de la vérité poétique de l'enfance, reconquise et perdue en même temps. La grandeur simple de ces géants mythologiques que sont les adultes au regard d'un enfant, la violence dérisoire et pathétique de ces enfants que sont les adultes pour qui est allé jusqu'au bout, tout cela est repris en charge par une seule conscience, est vécu comme une seule et même expérience. Ce n'est pas une femme malheureuse qui se raconte mais, qu'il se manifeste par une séparation, un suicide, le départ à la ville, la mort d'un fils, une amitié déçue, c'est le malheur même qui parle. Roman chanté à voix basse, baigné de poésie et de tendresse, passant de l'humour au tragique, Les yeux fermés laissent un goût de cendre et de soleil. Il est écrit avec cet art dont Albert Béguin pouvait affirmer à propos de La Fiera : Cette si sûre atteinte qui impose une lecture de participation et non de spectacle, est due, me semble-t-il, à la justesse de l'expression : j'entends par là non seulement une langue à la fois très simple et devenue style, à la fois naturelle et gouvernée, mais surtout un rythme particulier de la narration, qui est rapide dans le détail et qui pourtant laisse l'impression de lenteur contemplative à quoi se reconnaît la plus incontestable poésie de l'humain.
Romans, pièce de théâtre, essai ayant pour cadre commun la Corse méconnue et mythique.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Il y a eu George Sand, la femme libérée ; Gabrielle Chanel, l’émancipée ; Margaret Mitchell, la scandaleuse… Toutes trois ont ouvert la voie aux héroïnes modernes : Lisbeth Salander, la guerrière, et Marissa Mayer, qui est aujourd’hui mère et chef d’entreprise – femme et homme à la fois ?De la femme qui avait l’homme pour idéal à la femme devenue l’homme idéal : à l’image d’une société en pleine mutation depuis un siècle, les femmes sont des mutantes. Mais leur transformation n’est pas totalement achevée car, si leur représentation a changé, cela ne va pas sans difficultés et sans contradictions : quand on a, vis-à-vis de ses partenaires masculins, une autorité nouvelle et des exigences révolutionnaires, on est parfois déçue ou désemparée… Il est encore temps de s’interroger.Dans cet essai brillant et novateur, la psychanalyste Marie-Laure Susini retrace et questionne, avec humour et sérieux, cette évolution qui voit s’écrouler le patriarcat et impose un nouveau matriarcat. Face à ce bouleversement, quel est l’avenir de la femme ? Et de l’homme ? Et si on songeait plutôt à leur avenir commun ?
« L'acte du crime pervers, l'opération du prestidigitateur monstrueux, laisse un reliquat morbide : les restes. L'auteur répugne à s'en débarrasser. Il lui arrive de s'enfermer plusieurs jours en leur compagnie, de dormir allongé à côté du cadavre, ou dans une chambre éclaboussée de sang, jonchée de débris. Cette intimité avec les restes macabres suscite une impression d'étrangeté, angoissante, qui participe du film d'épouvante. Il suffit d'imaginer Barbe-Bleue descendant en son souterrain, contemplant en silence, dans l'obscurité, son trésor de femmes égorgées et attachées au mur. Ou Gilles de Rais, devant sa collection de têtes d'enfants, alignées sur des coffres. La collection de Landru, pour peu qu'elle soit bien filmée, serait tout autant angoissante. Dans la villa de Gambais, un couloir, une porte en bois épais, dont la poignée résiste ; elle est fermée à clé. Que cache-t-elle ? Le trou de la serrure incite à y glisser l'oeil... »
Pendant dix ans, dans un service hospitalier spécialisé pour malades dangereux, j'ai occupé auprès de mes patients criminels une place bien singulière : celle du psychanalyste. Cette aventure m'a menée à considérer de façon novatrice la figure contemporaine du criminel pervers. L'auteur du crime pervers, auteur d'un crime, est aussi auteur, acteur et metteur en scène d'un spectacle. Découvrir que le public, mis à l'épreuve d'une manipulation spécifique, est, à son insu et malgré lui, le partenaire de l'auteur du crime pervers... Saisir le mécanisme de la fascination, les rouages précis de la manipulation... Dévoiler ce que cachent l'outrance, la détermination cruelle, la provocation... Retrouver la rigoureuse et secrète logique d'un acte criminel qui se confond avec la contrainte implacable d'un destin... Elucider les causes du passage à l'acte et de sa répétition, l'énigme du serial killer... Tel est le propos de ce livre.
M.-L. S.
Oui, je me fais l'avocat du diable. J'affirme que ce sont les incorruptibles qui sont dangereux. Les intègres inquisiteurs et rigoureux purificateurs, les vertueux leaders de folies collectives, les apôtres de la salubrité, les organisateurs de campagnes d'assainissement et de massacres, les éradicateurs du mal, les assassins par devoir.
On dénonce autour de vous les corrompus ? Méfiez-vous plutôt de l'incorruptible. Au lieu de céder à l'obsession de traquer la corruption cachée, cherchez à reconnaître l'idéologie totalitaire de l'incorruptible. N'aurions-nous pas nous aussi nos sorcières ? nos corrupteurs imaginaires ? nos corrompus désignés à l'avance ?