« J'écrivais ceci encore abasourdi par un accident cérébral. Ce témoignage a-t-il un intérêt hors de moi-même ? J'étais trop étourdi pour convoquer le regard des autres, mesurer la lecture qu'ils pourraient en faire. La vision trouble, la marche entravée, j'écrivais sur le vif, à la recherche d'une trame symbolique pour réparer ma vie intérieure fracassés par l'accident silencieux. Soudain je regardais les choses comme une énigme, les êtres naturels comme des prodiges. J'étais devenu ma propre énigme, plus précisément, j'entrevoyais mes facultés, pour peu qu'elles me permettaient de respirer et de penser, de parler et de marcher, comme des mécanismes précieux et fragiles. »
Michaël La Chance nous convie, dans son essai, à un vertigineux voyage à travers les niveaux de réalité. Il explore, avec rigueur mais aussi animé par une flamme visionnaire, l'interstice entre la mécanique quantique et la poésie. Loin de superposer les notions scientifiques et esthétiques, il découvre l'infinité du sens de l'information, radicalement nouvelle, circulant dans cet espace de l'entre-deux. Michaël La Chance interroge le langage dans son adhérence à la réalité et au réel. Son essai a la densité dramatique d'une pièce de théâtre où se croisent Borges et Heisenberg, Mallarmé et Giordano Bruno, Roberto Juarroz et Niels Bohr, Fernando Pessoa et David Bohm, Ezra Pound et Stephen Hawking. Au fond, Michaël La Chance nous convie au spectacle inouï de la beauté poétique du monde. Il illustre ainsi d'une manière brillante la vérité axiomatique énoncée par Heisenberg : « toute philosophie authentique se tient [...] au seuil entre la science et la poésie ». J'ai rarement lu une méditation si profonde sur le lien entre science et poésie.
978-2-89741-976-9
Ce qui a changé entre The Matrix de 1999 et The Matrix Resurrections (2021), c'est le développement d'une culture des jeux vidéo (la réalité devient un simulacre neuromatriciel), c'est l'évolution des langages informatiques où le film puise ses métaphores, c'est notre relation avec les machines et l'omniprésence de celles-ci. Ce qui n'a pas changé, c'est la place de la trilogie dans le panthéon des films cultes, c'est le désir de détourner les technologies omniprésentes dans tous les domaines. La suite Resurrections n'a pas rompu avec la culture des hackers, elle renoue fortement avec celle-ci, elle donne une dimension épique au piratage et à la bidouille. L'univers Matrix continue à définir la mythologie de la cyberculture. Les figures de cette série acquièrent une plus grande fascination à mesure que les ordinateurs connectés gagnent du terrain, que les algorithmes se mettent à l'oeuvre dans tous les aspects de nos vies. L'expérience humaine et nos interactions sociales sont devenues de plus en plus matricesques. Matrix gagne en actualité lorsque nous envisageons la déconnexion ou quand nous considérons les cyberguerres qui ont cours en ce moment même.
Les crapaudines sont des pierres précieuses que l'on croyait issues de la tête du crapaud. Elles sont en réalité des dents fossilisées de squales. Les poèmes qui nous sortent de la tête révèlent une sauvagerie antédiluvienne.
Shakespeare invoque la crapaudine pour mettre en valeur les bénéfices que nous pouvons retirer de l'adversité et de l'exil, le vieux duc rend grâce d'échapper à la cohue, ce qui lui permet de recueillir les voix dans les arbres (dans les forêts du Saguenay et de Finlande), de voir des livres dans les ruisseaux (avec des empreintes d'encre qui flottent sur l'eau - des suminagashi) et aussi d'entendre la leçon des pierres. Le crapaud, c'est une société brutale et cupide, où les hommes se laissent séduire par l'étoffe rouge du langage : ils se prêtent au jeu des façons d'être duquel peuvent surgir des moments de poésie.
Ce recueil se termine avec quelques élégies.
Avant de rédiger son Discours de la méthode, véritable coup d'État dans la pensée philosophique du XVIIe siècle, le jeune Descartes avait fait trois songes dans une nuit de novembre 1619. Le cerveau en feu de M. Decartes revisite ces rêves, où le jeune philosophe entrevoit le fondement matriciel qui relie tous les êtres, et propose un quatrième songe dont il ne serait pas revenu. Nous avons voulu comprendre comment, à l'issue de cette nuit, Descartes entreprend de fonder le cogito contre tous les vertiges entrevus. Un délire philosophique a décidé du destin de l'Occident, a provoqué un durcissement de la raison. Aujourd'hui, alors que la raison de la technologie et de la finance est remise en cause, que nous remettons en doute la Raison des raisons, il importe de revisiter cette vision fondamentale et d'établir un dialogue avec l'écologie intuitive des cultures autochtones: c'est le cinquième songe.
Le dossier « Détournement, imposture, falsification » de ce numéro 117 nous amène sur les pentes glissantes de l'art : quand il joue avec le faux. À l'image de la revue Adbusters dont Inter détourne le couvert, cette édition est riche d'éléments visuels, d'illustrations grand format et de montages graphiques. Sous la direction de Michaël La Chance, douze auteurs se sont commis sur ce thème : Brad Jersak rapproche les coups d'éclat des Pussy Riots et la scène de Jésus au Temple, Édith Brunette présente les Yes Men, qui transforment en farces les plus grands sommets politiques et économiques, Lina X. Aguirre fait un tour d'horizon de l'art piraté au Chili et Jonathan Lamy relate la suite et la fin de « l'affaire Dulac », entre autres. Hors dossier, une incursion dans le monde fascinant de Boris Nieslony et une rencontre avec Aapo Korkeaja.
Le projet de ce numéro «Sexes à bras-le-corps», sur la question de la présence et du traitement du sexe dans la création contemporaine, est né d'un constat historique et amusé sur l'époque actuelle: dans les sociétés occidentales, la provocation ne se situe-t-elle pas davantage du côté des voiles que des nus? Ce dossier propose donc d'explorer quelques aspects de l'articulation entre art, sexe, sexualité, corps et politique aujourd'hui. Les textes réunis témoignent de la diversité des approches et offrent surtout un aperçu de quelques explorations autour de la sexualité et du genre, à partir d'un axe privilégié: le féminisme.
L'art contemporain a souvent tenté de rétablir le dialogue brisé entre l'homme et l'animal. Dévoiler les ressemblances, mais surtout prendre conscience de l'animalité des hommes en tant que condition nécessaire à l'équilibre existentiel. Inter numéro 113 nous propose un dossier sur l'art actuel qui questionne ce lien entre l'humain et l'animal en mettant un accent particulier sur l'art performance qui, selon Arti Grabowski, est celui qui partage et révèle le mieux la nature animale. Des portraits d'artistes oeuvrant dans les domaines de la performance donc, mais aussi de la photographie, de la peinture, de la sculpture et du film, tels que Benoît Aquin, Ricardo Arcos-Palma, Pascale Barret, Maurizio Cattelan, Éric Clémens, Isabelle Demers, Charles Dreyfus et Jean-Robert Drouillard, pour ne nommer que ceux-ci.
En 1966, alors que le LSD était encore légal, les artistes étaient préoccupés par l'exploration du potentiel cognitif, la conquête de la « liberté interne ». Ils n'hésitaient pas à avoir recours aux psychotropes pour parvenir à des états seconds et à une conscience modifiée. Ils s'intéressaient aux philosophies orientales et au chamanisme de la Sibérie et de l'Amérique du Sud, à l'ayahuasca et au peyotl, dans leur recherche de nouvelles formes d'existence. Ce numéro riche en contenu explore, cinquante ans après, le rôle des prothèses chimiques dans l'art d'aujourd'hui et en quoi elles seraient supplantées par des « suppléments technologiques ». Nous pouvons nous demander si, en 2016, les artistes sont encore préoccupés par les « portes de la perception », s'ils cherchent une conscience augmentée, sinon une humanité transformée (H+). Avons-nous encore besoin de raccourcis spirituels, d'accélérateurs psychiques, d'électrochocs culturels?
Le risque, et son corollaire (presque) inévitable, le dérapage : quelle thématique riche lorsqu'on se frotte à la création ! Inter art actuel y consacrera deux numéros, dont voici le premier. « Au départ existe une intuition, un dérangement, un sursaut d'énergie, un choix, une décision à prendre, un risque ou une osmose [...] toute production artistique se tient au sein de limites à tolérer ou à franchir ». Chez les artistes de l'art action, cette prise de risque passe souvent par une implication objective de leur personne : c'est notamment le cas pour Yann Marussich ou Éric Madeleine. D'autres, comme Greg Deal ou Latifa Laâbissi, s'aventurent sur le terrain miné de la dénonciation du colonialisme. Risque esthétique, risque créateur : plusieurs artistes nous confient les secrets de leur pratique tandis que d'autres, comme Michel Giroud, nous offrent une perspective historique sur ce combustible essentiel à l'imaginaire.
Comme à chaque numéro, Lettres québécoises réussit un tour de force, soit celui de nous faire pénétrer dans l'univers d'un écrivain ou d'une écrivaine, et ce d'une manière toujours aussi surprenante et révélatrice : grâce à l'autoportrait. On y découvre ici Michaël La Chance vu par lui-même, à travers ses questionnements, sa poésie, ses postures, ses réflexions intimes. Ailleurs dans la revue, un dossier sur les résidences d'écrivains, une solution souvent privilégiée par les auteurs pour mener à terme leurs projets. Le livre-fleuve 666 Friedrich Nietzsche, dithyrambe beulblique de VLB, le roman Solomon Gursky de Mordecai Richler, récemment traduit chez Boréal, et le recueil de Carole David, L'année de ma disparition, font notamment partie des critiques de cette édition.