Peut-on échapper à la monotonie du couple ? Esquiver l'ennui par l'adoration, la lassitude par l'érotisme ? Telle est la question implicite que se posent les personnages de ce roman à bord du paquebot qui, dans les derniers jours de l'année 1979, les mène de Marseille à Istanbul. Le récit que l'un d'entre eux, Franz, fait à un autre voyageur, Didier, de ses amours avec une certaine Rebecca, également présente, sert de fil conducteur à leurs interrogations. Récit dont l'enjeu caché ne manquera pas d'infléchir à son tour les relations du voyageur et de sa compagne, Béatrice, avec laquelle il part en Inde pour s'évader d'une existence d'enseignants trop bien réglée.
Double histoire et d'une déchéance amoureuse et d'un huis clos à l'intérieur d'un navire, Lunes de fiel est avant tout un roman de la cruauté. Des êtres en proie au désemploi de soi y cèdent à la fascination du bonheur dans la haine. Lunes de fiel, on l'aura compris, c'est l'autre face de notre rêve contemporain d'euphorie obligatoire, c'est la mise en scène des impasses de la vie privée dès lors qu'elle se replie sur elle-même et succombe sous le poids de sa propre frivolité.
Inde du Nord, début des années 1980. De Delhi à Bombay, des campagnes du Madhya Pradesh aux plages de Goa, plusieurs personnes se cherchent et s'affrontent : un archéologue français que couve une mère envahissante ; un agronome américain cynique et brillant ; une petite mendiante de Bombay ; un professeur d'histoire de l'art à l'Université de Calcutta ; une jeune fille révoltée de la haute société bengali... Plus quelques autres, dont le narrateur lui-même, fonctionnaire français aux Relations extérieures, déchiré entre sa fascination pour l'inde et son incapacité à la comprendre.
Mais le vrai sujet des Parias, c'est évidemment l'Inde : " Mother India ". Une Inde imaginaire, fantasmatique autant que réelle, aimée autant que détestée et sur laquelle chacun projette sa peur, son enthousiasme, ses doutes ou sa colère. Une Inde dont les démesures et la misère n'effacent jamais la séduction magique, quasi merveilleuse qu'elle exerce sur tout étranger.
Sur cette terre, un homme va être l'instigateur d'un crime immense, répété, vécu comme une hallucination. Il se fera assassin par amour de l'inde, proclamant le règne d'un nouveau messie de l'Humanité, semant la mort à travers les faubourgs des grandes cités, dans une sorte de mouvement romanesque qui oscille constamment entre la folie et la tendresse, la farce et l'horreur.
Pascal Bruckner s'attaque avec vigueur au malaise qui consume les sociétés occidentales : le " tiers-mondisme " qui repose surtout, derrière la solidarité affichée, sur la haine de soi. Cette idéologie oppose un Sud radieux, peuplé d'agneaux et de martyrs, à un Nord rapace, habité de loups et de nantis. Une vision trop simpliste et culpabilisante qui trouve ici un lumineux contrepoint.
Né en 1948, Pascal Bruckner a écrit de nombreux romans et essais, dont L a Tentation de l'innocence (prix Médicis de l'essai 1995) et Les Voleurs de beauté (prix Renaudot 1997). Il est également l'auteur de Lunes de fiel et co-auteur de La Plus Belle Histoire de l'amour, disponibles en Points.
" Un styliste qui cogne, un puncheur qui signe des pages étincelantes, servies par une culture historique et philosophique solide. "
La Croix
Au premier étage du Palais des claques, on tire et on tord les oreilles. Au deuxième, on donne des paires de gifles. Au troisième, on met les enfants au placard. Au quatrième, les petits diables prêtent leurs pouces et leurs ongles à des adultes nostalgiques qui les sucent et rongent avec nervosité. Au cinquième, on dispense la fessée à main nue et on botte le derrière... Au huitième, on pose sur les joues des anges des baisers sonores et mouillés. Ils n'ont pas le droit de s'essuyer... Au douzième, on jette sur la peau nue des fleurs de chardon et on frotte les vauriens avec des herbes coupantes... ! Au quatorzième, on se désaltère à la cafétéria et on admire le panorama sur la capitale. Ainsi l'a décrété le Président bien-aimé, mais a-t-il mesuré toutes les conséquences de son invention ?
« Une certaine désillusion accompagne à l'Est comme à l'Ouest l'effondrement de l'ordre totalitaire et le progrès des libertés dans le monde. J'ai nommé ce phénomène la mélancolie démocratique et celle-ci constitue bien la tonalité dominante de notre temps. Le sentiment d'avoir perdu ses repères avec la disparition de l'adversaire soviétique, de se retrouver sans ennemis déclarés et donc face à soi-même, d'avoir remporté une victoire paradoxale qui laisse derrière elle autant de problèmes qu'elle en résout, tels sont quelques-unes des causes de ce désenchantement post-totalitaire qui se traduit chez nous par un renforcement de l'apathie civique et de la résignation. Pour éviter que cette dépression ne mette en péril le renouveau libéral, il convient de se montrer critique vis-à-vis du triomphe de nos propres idées. Il convient surtout de pratiquer un scepticisme actif qui, sans nourrir d'espoirs excessifs sur la perfectibilité humaine, travaille dès maintenant à réaliser les promesses des Lumières : le refus de la servitude, l'élargissement des droits et des libertés, la civilisation progressive de l'humanité entière. Si elles ne veulent pas se repentir d'avoir vaincu, les démocraties sont condamnées à se faire militantes et conquérantes : au Nord comme au Sud. » Pascal Bruckner